A la rencontre des derniers témoins oculaires des massacres, à Lviv, Odessa, mais aussi dans les régions de Bucovine, Galicie ou Transnistrie en Ukraine, les étudiants investiguent cette période sombre de l’histoire pour mieux questionner les réalités politiques et sociales contemporaines. Interview croisée des deux enseignants-chercheurs à l’initiative du projet.
Quelle est l’ambition de cet enseignement ?
Ygal Fijalkow : Après Charlie Hebdo, l’Hypercasher, les militaires de Montauban et l’école juive de Toulouse, beaucoup d’étudiants
sont en attente de clés de lecture, tandis que d’autres minimisent la portée des événements. A travers cette UE, nous conduisons les étudiants à déconstruire un fait historique, la Shoah par balles, et à identifier en quoi la compréhension de ses mécanismes est utile pour décrypter des phénomènes plus contemporains. Nous souhaitons montrer, à travers un regard croisé en histoire, sociologie et géographie, ce qu’il y a de commun à toutes les formes de discriminations.
Comment se déroule-t-il ?
Sandrine Victor : Le parti pris pédagogique est original puisqu’il suppose de considérer les étudiants à la fois comme des acteurs scientifiques et des animateurs d’une réflexion citoyenne. Les apprentis chercheurs partent d’un questionnement, investissent un terrain d’étude, recueillent des données - observations, entretiens, photos, documents - et produisent des analyses à coloration scientifique. Ces résultats sont ensuite valorisés dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme et l’antisémitisme sous forme de conférences, expositions, projections, organisées sur le campus, mais aussi dans les collèges et les lycées du Tarn. Les étudiants deviennent ambassadeurs de leurs travaux.
Qu’en est-il du séminaire de terrain ?
YF : Le séminaire en Ukraine donne corps à l’expérience, d’autant que les enjeux scientifiques et mémoriels autour de la Shoah par balles sont réels. Le terrain d’étude est quasi inexploré, encore moins patrimonialisé contrairement à Auschwitz par exemple. Certains témoins des massacres parlent pour la première fois. Le voyage, c’est aussi ce qui permet le décentrement : voir ce qui se passe ailleurs pour mieux comprendre ce qui se passe chez soi. L’antisémitisme, le racisme, les discriminations, ce n’est pas que chez les autres.
Quel retour d’expérience faites-vous ?
YF : L’engouement suscité autour de cet enseignement dépasse nos espérances. Au point de voir certains étudiants prolonger l’expérience au-delà des murs de Champollion : des sujets de master voire de thèse choisis en conséquence, des conférences organisées par nos anciens à Sciences Po, une étudiante devenue chargée de mission patrimoine au musée de Rivesaltes… Notre action a également été identifiée par le ministère de l’Enseignement supérieur à des fins de transférabilité dans d’autres universités.
Avez-vous des perspectives pour aller plus loin ?
SV : Ce que nous montrons à travers l’étude de la Shoah par balles, c’est l’universalité du crime. L’analyse de ses mécanismes fonctionne aussi bien pour comprendre l’esclavage que le génocide du Rwanda par exemple. Dans le cadre des actions que nous menons en tant que référents discriminations pour l’établissement, nous cultivons aujourd’hui une démarche d’ouverture : à toutes les causes d’abord, mais aussi à d’autres approches comme la création artistique que nous intégrons dans nos démarches, voire à d’autres publics puisque nous envisageons des actions à l’attention des personnels de l’université.